En été, le récit de voyage se prête comme nul autre genre littéraire à la rêverie. Quelle ne fut donc pas ma joie quand, en juillet 2023, le Musée national dʼhistoire naturelle remit au Centre national de littérature une série de tapuscrits du géologue Michel Lucius. Avant que ses œuvres séminales consacré(e)s à la géologie luxembourgeoise ne fassent sa renommée, Lucius passa en effet maintes années au Proche-Orient. Plus tard, il se rappela les longues soirées solitaires sur le vaste plateau anatolien dans un texte qui ne laisse aucun doute sur l’âme poétique du scientifique (Schmit, Sandra: Um die Einsamkeit, CNL Objet du mois 12/2015).
Dans l’espoir de trouver parmi ses travaux un bijou lyrique inédit, le nouveau fonds L-434 Michel Lucius fut soigneusement dépouillé, puis catalogué. L’inventaire permit de relever 48 rapports scientifiques établis à partir de 1925, quand Lucius, dans sa fonction de géologue de la jeune République turque, entreprit plusieurs expéditions successives afin d’examiner les rayons pétrolifères du littoral de la mer Noire. Ces études constituent un apport non-négligeable à lʼhistoire de la prospection minière et pétrolière du Levant et permettent, parfois mois par mois, de suivre les avancements de lʼintrépide scientifique-explorateur luxembourgeois. Mais le langage reste sobre et précis, seul le rapport Le rayon supposé pétrolifère dʼElmalı, finalisé le 23 juin 1925, contient un récit assez captivant, écrit à la première personne, qui relate la descente du prospecteur dans un vieux ‹ puit puant › le pétrole. À la fin, il semble pourtant sʼagir dʼune fausse alerte (L-434; I.1-04, pp. 2-3).
Nombre de rapports comprennent dʼadmirables planches détaillées de la main du géologue, mais lʼœil de lʼarchiviste est surtout attiré par un objet de tout autre nature : un cube massif en pierre noire polie, dont la tranche mesure 10 centimètres. Cinq des six faces comportent des symboles à première vue mystérieux, mais le triangle entourant la lettre G et le compas ne tardent pas à révéler lʼorigine maçonnique de lʼobjet. Une inscription annonce : « Au T∴ C∴ F∴ Michel Lucius ». Le cube a donc été offert à Lucius par la Grande Loge du Luxembourg, qui, comme l’abréviation de lʼexpression ‹ Très cher frère › le laisse supposer, semble avoir compté parmi ses membres. Restent à déchiffrer les nombres énigmatiques 5910 / 5960, encadrés de deux branches de laurier. Le calendrier franc-maçon commence par lʼAnnée de la Vraie Lumière, l’Anno Lucis 5910 correspondant à 1910 de lʼère commune. Michel Lucius intégra donc probablement la Loge en 1910, bien avant l’obtention du diplôme de géologue en 1912 qui lui vaudra finalement un emploi dans lʼindustrie pétrolière en Russie.
À en croire les dates inscrites, le cube fut remis au ‹ Doktor Lüsyüs › − c’est ainsi que le géologue signe son seul rapport en langue turque (Yalova Kaplıcalarıhakkında rapordur, CNL L-434; I.1-48) − à peine une année avant sa mort en avril 1961.
Sandra Schmit
Légende:
Cube franc-maçon offert à Michel Lucius. CNL, Fonds Michel Lucius, L-434; III.1.