Penchée sur l’objet de son attention, la chiromancienne examine les lignes de la main pour élucider bonne et mauvaise fortune à paume ouverte. Elle navigue entre l’inquiétude et le désir de confirmation, déploie les mises en garde et les encouragements selon les besoins. Elle incarne la tentative élémentaire de chercher une issue à l’imprévisibilité de l’existence humaine. Quelquefois, les archives activent des élans similaires. Leurs lignes sont déchiffrées en quête d’éléments de réponse dans des domaines variés allant de la tangibilité d’un fait historique, biographique ou stylistique jusqu’à la matière aléatoire d’une émotion. Leur préservation et mise en évidence, en tant qu’objets d’étude et artefacts muséaux, suscite un fétichisme que les distances scientifiques les plus rigoureuses ne parviennnet jamais à abolir. D’ailleurs, les pratiques de recherche, toutes sciences confondues, ne renient pas forcément l’ambiguité de leurs démarches, toutes tributaires qu’elles sont d’activer le processus logique par une sorte d’intuition, autrement dit par « un moment où les données prennent sens » (selon les propos de l’immunologue Bruno Lemaitre dans un entretien réalisé par Julie Haffner pour l’École polytechnique fédérale de Lausanne : « La logique de la science a besoin de l’irrationalité de l’intuition », 17.08.2021). Quant aux objets, ils affichent pour certains clairement leurs intentions.
Clapping hands est le nom d’un collier-broche qui rend visible le rapport charismatique à certaines matérialités. Il s’agit d’un cordon de cuir doré, agrémenté d’une épingle et d’une ribambelle de petites mains disposées en pampilles. Charm est l’autre nom programmatique donné à ses créations par Anne-Marie Herckes, qui affectionne le grigri glissé dans un sac ou épinglé au revers d’une veste. Elle est connue pour ses répliques miniaturisées d’univers transposés par accumulation de symboles. Parmi elles, il y a la broche Vivienne (le style Westwood traduit en tartan, couronne britannique et cuir noir), ou Venezia (Spritz, marinière et masque). L’exemplaire de Clapping hands conservé au CNL (OBJ 079), quant à lui, a servi de prototype aux trophées des Lëtzebuerger Danzpräis & Lëtzebuerger Theaterpräisser de 2021. Le collier fut ensuite attribué aux lauréat.e.s de divers prix dans les arts de la scène. Lors de sa conception, Anne-Marie Herckes jette son dévolu sur l’or, qui depuis l’Antiquité symbolise la victoire, ainsi que sur la fonction métonymique de la main en référence aux applaudissements qui soulignent un succès.
La main est aussi un outil essentiel à l’artisanat, notamment littéraire, comme l’indique d’emblée le mot manuscrit. Et tandis que certains auteurs ont étudié l’écriture sous des aspects autres que ceux de la pure rédaction (Edmond Dune, p.ex., s’est intéressé à la graphologie), les vers-sortilège de José Ensch évoquent à plusieurs endroits les craintes associées à la création, car des mains symboliques se pétrifient et des rendez-vous sont manqués : « Il y a des mains de plâtre derrière les rideaux / Toutes les chances sont dilapidées / La soleil a disparu / mais il n’y a pas d’ombre / dans les miroirs qui persistent » (ailleurs... c’est certain). Porté sur le devant de la scène, l’objet Clapping hands fait briller la « matérialisation des désirs » (cf. Pierre-Olivier Dittmar et al., Matérialiser les désirs. Techniques votives, 2018) et réveille le fantôme de la reconnaissance.
Ludivine Jehin
Illustration : Clapping hands par Anne-Marie Herckes. CNL OBJ 079. Photo : LJ.