Un ensemble de feuillets de différents coloris, agrafés portant en couverture un Roude Léiw couronné à la queue fendue qui montre ses griffes : c’est ainsi que se présente le numéro 3 (mars 1960) de La Gerbe luxembourgeoise. Revue enfantine trimestrielle. Les thèmes abordés par les jeunes rédacteurs de ce journal scolaire renvoient à la vie rurale luxembourgeoise de l’époque; les textes (Unser Pferd wird geschlachtet, La neige, ou Mein Bruder, der Spitzbube) sont écrits en allemand et en français. Quant aux illustrations, la technique privilégiée est la linogravure, utilisée aussi pour la couverture. La spécificité de ce journal scolaire est de réunir une sélection de textes et d’illustrations parus auparavant dans des journaux scolaires locaux tels que Benzelter Kanner (École primaire mixte de Binsfeld), Nothumer Pompel (École mixte Nothum, Wiltz) ou encore De Bo’fank (Brouch-Saeul). La parution du premier numéro de La Gerbe luxembourgeoise a suscité le commentaire suivant dans la rubrique Randbemerkungen du journal d’Letzeburger Land du 24 juillet 1959: « Ein regelrechter, kleiner Verlagsbetrieb scheint also die Schule des Lehrers Marcel Wagner aus Nothum zu sein, der die Idee hatte, die besten Arbeiten der heute in vielen Schulen des Landes gebräuchlichen ‹aktiven› Lehrmethode in einer landweiten Zeitschrift zusammenzufassen. » À la dernière page de ce numéro, on découvre le nom de Marcel Wagner, instituteur à Nothum, accompagné de la mention « gérant ».
Le choix du titre du journal est loin d’être anodin. La Gerbe luxembourgeoise s’inscrit dans la lignée des journaux scolaires paraissant à l’étranger depuis la première moitié du XXe siècle dans le cadre de la pédagogie Freinet, du nom du pédagogue français Célestin Freinet (1896-1966) qui, en 1927, avait fondé la revue mensuelle La Gerbe afin de permettre à des classes installées dans différentes régions de France d’échanger leurs textes. Le journal scolaire occupe une place importante dans la pédagogie de Freinet, qui a préconisé un mode d’enseignement et d’apprentissage plaçant les enfants au centre, considérant que la liberté et la responsabilité qui leur sont ainsi accordées stimulent leur désir d’apprendre tout en respectant le rythme individuel de chaque élève. La réalisation de ce journal scolaire obéit à ces principes dans la mesure où les textes sont écrits, illustrés et imprimés par les enfants eux-mêmes.
Parmi les adeptes de la pédagogie Freinet au Luxembourg, on compte entre autres l’instituteur et auteur Aloyse Steinmetz (1920-2015). Dans les publications du Syndicat national des enseignants École et Vie et Bulletin d’information, il défend à plusieurs reprises cette méthode et décrit ses propres expériences à l’école de Rosport, réalisées dans les limites fixées par l’organisation de la vie scolaire et les programmes (« soweit die spezifisch luxemburgischen Schulverhältnisse es erlauben », Bulletin d’information, n° 6/1980). Fondé en 1960 et intitulé La Source, le journal de l’école de Rosport a paru pendant une vingtaine d’années et il a, comme d’autres journaux scolaires, alimenté les pages de La Gerbe luxembourgeoise. Il est à noter qu’en 1976, une autre publication ayant le même titre que le journal présenté dans ce texte voit le jour sous la responsabilité, cette fois, d’A. Steinmetz. D’un format plus grand, ce journal est construit selon le même modèle que la version plus ancienne. Dans l’introduction, A. Steinmetz, écrit: « Luttons contre l’enseignement traditionnel, qui ne cesse de bourrer toujours davantage dans le cerveau des enfants, qui finit par ‹ tuer › toute créativité et tout sens critique [...] ; découvrons d’autres initiatives, qui éveillent chez les plus passifs, les moins doués, la flamme de l’intérêt, le désir d’agir, de coopérer. »
Charlotte Ziger