A priori, on s’attend à y trouver des notes d’ordre pratique sans grand intérêt pour l’histoire littéraire : rendez-vous, adresses, listes de courses... Mais à feuilleter les petits calepins et agendas conservés dans le Fonds Edmond Dune du CNL sous la cote L-113 ; I.1.7, on découvre avant tout un laboratoire de l’œuvre. Y apparaissent en effet des poèmes, publiés par la suite ou restés inédits, des ébauches d’articles et de pièces de théâtre, des bribes de prose narrative, des pensées diverses, parfois des dessins, des citations d’autres auteurs, des références bibliographiques, des répertoires thématiques… C’est sans doute d’abord par souci d’économie que Dune a noté ses textes dans de vieux agendas, peut-être en partie mis à sa disposition par son employeur. Leur petit format était par ailleurs adapté à un genre qu’il affectionnait, et qui est particulièrement bien représenté dans ces calepins : l’aphorisme.
Connu essentiellement en tant que poète et auteur dramatique, Edmond Dune a écrit des aphorismes et pensées au moins à partir des années 1940 et jusqu’à la fin de sa vie : l’« Extrait d’un carnet de poche », dont le titre renvoie explicitement aux petits agendas, paraît dans Les Cahiers luxembourgeois en 1947 ; il est suivi d’un recueil intitulé Aphorismes (1951), de Remarques (1971), d’un Abézédaire paru dans nos cahiers (1983), d’À l’enseigne de Momus (1984) et d’un Alphabêtisier publié dans d’Lëtzebuerger Land (1986), sans parler des nombreux aphorismes restés inédits, conservés au CNL sous forme dactylographiée ou manuscrite. S’allongeant au fil des ans, ces « remarques » ou « pensées » – il ne s’agit pas toujours d’aphorismes au sens strict – se rapportent très souvent à la création littéraire ou musicale, à la philosophie, à la psychologie et aux grands thèmes tels que le temps, la mort, la vie ; certaines se présentent comme des proverbes revisités ou ont comme point de départ une citation, voire un fait divers ou article lu dans un journal.
Même si rien ne prouve une rédaction quotidienne, il est probable que Dune a noté ces pensées de manière assez spontanée, à l’instar d’un de ses personnages qui sort son « carnet de poche » pour y « jeter ses idées » et ses « notes » au fil des heures (« L’homme qui n’arrêtait plus de penser », Les Cahiers luxembourgeois, 1947, n° 13, p. 33-43, ici p. 38). Mais comme l’attestent les nombreuses ratures et corrections, il les a ensuite relues, recopiées et réécrites, en les numérotant et en changeant souvent leur agencement. Certaines sont classées par ordre alphabétique, et on peut même se demander si la structure des répertoires dans lesquels elles ont été notées n’a pas conforté Dune dans l’idée de choisir des titres comme Alphabêtisier et Abézédaire. Contrairement à Lichtenberg, dont il a traduit des aphorismes et à qui il a consacré un article dans la revue Critique, Dune destinait donc les notes de ses calepins ou Sudelbücher, comme les appelait l’auteur allemand, à la publication. Il n’en reste pas moins que ces carnets gardent une dimension très personnelle. Reflétant les goûts et les humeurs de leur auteur, on est tenté d’appliquer aux différents « extraits » des « carnets de poche » cette réflexion du recueil inédit Défrichements – Déchiffrements : « Toutes ces pensées détachées sont les moments d’une unique durée, des gouttes prélevées dans le courant continu de la pensée. Celle-ci ne s’arrête jamais, même pas dans le sommeil. » (L-113; I.1.3-21, p. 5).
Myriam Sunnen
Calepins et agendas du Fonds Edmond Dune du CNL (L-113 ; I.1.7), contenant entre autres des aphorismes publiés dans les années 1970-1980 ou restés inédits du vivant de l’auteur, à paraître en partie dans le tome 3 des Œuvres de Dune aux éditions Phi.