La revue d’horticulture Gartenschönheit, créée en 1920 par le jardinier-philosophe allemand Karl Foerster, en collaboration avec le paysagiste et botaniste Camillo Schneider et l’éditeur Oskar Kühl, ne manque pas de charme. Sur la couverture du numéro de mai 1926, harmonies de couleurs et ornements floraux d’inspiration Art nouveau se mêlent de façon organique au titre. Outre son caractère décoratif, la provenance de cet exemplaire du périodique allemand suscite une curiosité supplémentaire, puisqu’il figure parmi les ouvrages de la bibliothèque des Mayrisch qui est aujourd’hui conservée au Centre national de littérature.
De l’industriel Émile Mayrisch (1862-1928) et de son épouse Aline Mayrisch (1874-1947), femme de lettres qui réunit intellectuels, écrivains et artistes de son époque, l’on ne soupçonne pas l’intérêt pour l’art du jardin. Toutefois, dès l’acquisition du domaine de Colpach en 1917, il est bien question d’en aménager le parc, déjà riche, entre autres, d’arbres centenaires. La même année, dans une lettre conservée aux Archives et Musée de la littérature de Bruxelles, la future maîtresse des lieux sollicite les recommandations du peintre et architecte belge Henry Van de Velde en vue de son aménagement. Le caractère champêtre du parc, qui s’inscrit dans le cadre rural du hameau de Colpach, est préservé. L’étang, les allées de charmes, le massif de rhododendrons, recensés par l’historien Marc Schoellen dans son étude Le Parc historique du château de Colpach (1998), offrent les plaisirs variés d’un jardin d’agrément.
Parmi les livres et revues ayant appartenu aux Mayrisch, une soixantaine de numéros de Gartenschönheit, édités entre 1921 et 1931, ont pu être retrouvés. Ils accompagnent l’heure de gloire du domaine, alors que les rencontres s’y multiplient et que les activités d’Émile Mayrisch prospèrent. En 1920, le potager voit éclore une généreuse Pomone signée Aristide Maillol (cf. Patricia De Zwaef : « La Pomone du potager de Colpach », 2020). Mains tendues, elle inaugure une série d’acquisitions qui, au fil des années, doteront le parc d’une remarquable collection de statues composée d’œuvres d’Antoine Bourdelle, Charles Despiau ou encore Georg Kolbe. La cohabitation est féconde. Aline Mayrisch décrit un potager « ivre de roses et de pois de senteur » (cf. Aline Mayrisch - Jean Schlumberger. Correspondance 1907 - 1946, 2000), tandis qu’André Gide jouit du calme et de la sérénité des lieux. Le parc abrite ses longues conversations avec Walther Rathenau comme les allées et venues des paons ; sous le tilleul, l’helléniste Marie Delcourt savoure un thé en agréable compagnie ; Jacques Rivière, stimulé par la vue de cet écrin de verdure, quitte son bureau pour aller marcher.
Paisible Colpach ? Aline Mayrisch en goûtera la beauté, appréciant aussi la rudesse du paysage nordique. Néanmoins, à l’ombre des conifères, elle se désole de l’humidité et de la tristesse du domaine en hiver, y rumine un caractère instable et une santé fragile. Lorsqu’elle s’exile à Cabris durant la guerre, Colpach s’assombrit. Les légumes du jardin, sous surveillance de l’occupant, sont réquisitionnés. Pierre Hames, le fidèle jardinier, meurt en 1942. Sur une photo, son successeur, Ernest, posant avec pipe, bottes et bonnet d’aviateur, a plutôt fière allure. Mais le domaine, bien qu’épargné, ne retrouvera pas son lustre d’antan.
Il semblait à Aline Mayrisch que rien ne « fertilis[ait] comme la vue du désert » (Aline Mayrisch - Jean Schlumberger, op. cit.). À Colpach, celle qui se disait attirée par l’aridité conçut et offrit pourtant à d’autres, bien au-delà de sa disparition en 1947, une précieuse « oasis pour l’esprit ».
Ludivine Jehin
Légendes illustrations :
Couverture de la revue Gartenschönheit de mai 1926. CNL, Bibliothèque de Colpach.
Ernest le jardinier posant devant Le Jeune Somali de Georg Kolbe. CNL, Fonds Aline Mayrich, L-37 ; III.6.1.31-17.