Une photo, soigneusement encadrée, d’un officier américain. Photo prise rue du Nord à Luxembourg. En arrière-fond, les Trois Glands du fort de Thüngen ; une vue parmi les plus prisées de la ville de Luxembourg. La photo est dédicacée, signée et datée : « Luxembourg, 15 May 1945, To ANISE / A real Girl-Guide and Friend / Frank G. Fraser, Colonel USA ». Au dos du cadre, cette inscription d’Anise Koltz : « Frank G. Fraser régnait sur le Luxembourg jusqu’au retour de notre chère Grande-Duchesse ».
Anise Koltz, photo en main, se rappelle encore bien la dédicace, si difficile à déchiffrer, mais aussi ce jour du 15 mai quand le Colonel lui a offert son portrait. Quelle époque que le printemps 1945 ! Anise, qui fêtera ses 17 ans le 6 juin 1945, est en classe de 3e section latine au Lycée de jeunes filles, actuellement Lycée Schuman. Avec sa meilleure amie, camarade de classe, plus grande de taille, Madette Lamesch, bras dessus, bras dessous, elles parcourent les rues de la ville, dès qu’elles en ont le temps, souvent habillées en tenue de scout de la FNEL. Il y a tant de choses à voir dans une ville libérée, tant de joie à partager. Frank G. Fraser, elles le connaissent bien. Anise Koltz et Madette Lamesch faisaient partie de la foule en allégresse qui accueillit les Américains lors de leur entrée le 10 septembre 1944 dans la ville de Luxembourg: « D’Amerikaner sinn do ! », enfin ne plus être obligées de faire le signe nazi en criant « Heil Hitler » – mais beaucoup d’élèves en classe disaient « Drei Liter » et Anise Koltz refusait de lever le bras, prétextant de sa nationalité belge. Après ces longues années sous la terreur des nazis, la ville est en liesse, et ce malgré la souffrance endurée par les privations, arrestations, enrôlements de force, déportations et exécutions depuis l’invasion allemande au petit matin le 10 mai 1940 à 4h35. Elles ont vu passer le Colonel Fraser lors de l’entrée en ville. Il prendra le commandement interallié de la Mission Militaire Américaine au Luxembourg le 13 septembre 1944 et s’installera dans le bâtiment administratif des Arbed. Il faut se l’imaginer, la petite ville de Luxembourg, qui, à cette époque, avec ses 60.000 habitants, n’abritera pas moins de deux généraux américains pour contrer l’offensive von Runstedt : à la Fondation Pescatore, le Général Patton commandant la renommée Third US Army, et, dans le bâtiment de la « Spuerkees », le Général Bradley et sa puissante Twelfth Army Group. La ville abondait de soldats et d’officiers américains. Tout ce monde à un saut du Lycée de jeunes filles, sis au boulevard Emmanuel Servais. Anise Koltz et son amie, mues par une joie inextinguible, allaient à la rencontre du Colonel Fraser dès qu’elles le voyaient marcher dans les rues de la ville, pour le remercier, pour lui exprimer leur bonheur et leur encouragement, et ce pendant des mois. Chaque fois, le Colonel Fraser s’arrêtait pour leur dire quelques mots. Il fallait aussi héberger tous ces soldats. Les parents d’Anise Koltz, Raymond-Hubert Blanpain et Alix Mayrich, qui habitaient rue de Beggen, près du Lycée privé Emile Metz, ont accueilli dans leur maison jusqu’à 18 soldats et officiers américains. Ils dormaient partout, de la cave au grenier, se souvient Anise Koltz – les officiers seuls partageant le repas avec la famille Blanpain. Que de belles occasions le matin pour Anise, sous prétexte d’avoir raté les rares bus, de demander à un soldat MP si une jeep – la fameuse Willys MB ! –, ne pouvait l’emmener au Lycée – les conducteurs se faisant un plaisir d’entrer en classe avec elle pour distribuer du chocolat et des chewing-gums. Mais pas question d’engager des amourettes avec eux, comme d’aucuns de ces camarades s’y laissaient tenter !
Une autre date, capitale pour le Grand-Duché : le retour, tant désiré et reporté par la bataille des Ardennes, de la Grande-Duchesse Charlotte et de sa famille, le 14 avril 1945 : autre jour de grande liesse pour la population ! Et les mois suivants, Anise et Madette d’appeler, quand elles le pouvaient, la Grande-Duchesse devant le Palais grand-ducal, qui ne manquait jamais d’ouvrir la fenêtre et de répondre à la joie et aux remerciements de ces deux jeunes filles si souriantes et enthousiastes, à tel point qu’une correspondance officielle s’est établie entre la Grande-Duchesse Charlotte et Anise Koltz à l’occasion d’anniversaires et de la publication des recueils de la poétesse. On peut comprendre dès lors que le Colonel Fraser, qui terminera sa carrière avec le grade de Lieutenant Général, ait voulu, par son portrait, remercier ces jeunes filles qui incarnaient à ses yeux l’espoir de la jeunesse luxembourgeoise.
Légende Photo 1 :
Portrait encadré du Colonel Frank G. Fraser, dédicacé, le 15 mai 1945, à Anise Koltz. CNL-L42.
Légende Photo 2
Anise Koltz (a) et Madette Lamesch (b), photo de classe de la IIe latine, 1945-46, Lycée de jeunes filles [Une classe de Lycée dans la tourmente 1940-1947, Luxembourg, Impression Rapidpress, 1998, p.21. CNL- BL035/99.