Émil Michel Cioran, philosophe, aphoriste et essayiste de renom mondial, est né en 1911 en Transylvanie (Roumanie), territoire faisant partie à cette époque de l’Empire des Habsbourg. Il décède en 1995 à Paris et repose au cimetière de Montparnasse, à côté d’un nombre important d’intellectuels et d’artistes roumains, tels le dramaturge Eugène Ionesco, le poète Tristan Tzara, le sculpteur Constantin Brancusi et le photographe Brassaï, qui, au début du XXe siècle, se sont tous établis dans la capitale française afin d'y exercer leur art.
En 1937, Cioran débarque à Paris pour y rester toute sa vie et ne plus jamais revenir dans sa patrie. Dans ce contexte, il est intéressant de noter que dès 1946, le régime communiste l’interdit de séjour et met ses livres à l'index à cause de leur critique virulente envers son pays natal. Après la Deuxième Guerre mondiale, il écrit et publie presqu’exclusivement en langue française et souligne par le biais de ce nouveau registre linguistique la rupture radicale avec son passé. Egalement à retenir le fait que, jusqu’au début de la guerre, on lui reproche d’avoir sympathisé avec l’idéologie du mouvement fasciste roumain et d’avoir été un admirateur du régime national-socialiste allemand. Cioran ne reniera jamais ces faits et s’en excusera.
La relation entre Cioran et Jean-Paul Jacobs (*1941, Esch/Alzette), auteur luxembourgeois qui publie depuis les années 1960 en allemand et en français et que Günther Grass nomme ‚einen der wilden jungen Dichter aus Luxemburg‘, se développe par l'intermédiaire de Maxime Nemo, le président de la société française Jean-Jacques Rousseau, et remonte à 1965. Nemo et Jacobs font connaissance, à leur tour, lors des Journées littéraires de Mondorf.
Le 16 juin 1974, Cioran précise dans une lettre à Jacobs: “Je suis peut-être “réactionnaire”, mais dans le sens où le Diable l’est.” Dans le même esprit, il déclare, à l'occasion d'un entretien accordé au journaliste suisse François Bondy, qu' “Entre l’horreur et l’extase je pratique une tristesse active” (Gespräche, Europa Verlag, 1972). Cioran demeure tout au long de sa vie un athée irréductible, un doctrinaire du doute, un pessimiste et sceptique notoire, tiraillé entre le fatalisme et l’extase. Pourtant, il ne se considère point comme un nihiliste, mais comme un homme hanté par le néant et par le vide; précurseur de l’existentialisme, il ne se percevra jamais en tant que philosophe académique et encore moins comme existentialiste.
A Paris, Cioran vit modestement et retiré de la société, pendant 25 années dans une chambre d’hôtel, plus tard dans un petit appartement situé dans le Quartier latin. A partir du milieu des années 1960, dix ans durant, Jacobs, qui depuis 1966 habite à Berlin, et Cioran entretiennent une relation épistolaire dans laquelle se forge une base confidentielle et personnelle, leur permettant de se soutenir et de s‘évaluer de façon critique sur le plan littéraire. Dans cette correspondance, ils échangent tout particulièrement leurs préoccupations liées aux conflits avec leurs proches, la société, et ils sondent les abîmes immanents au processus de l’écriture.
En 2012, le CNL achète à Jean-Paul Jacobs une liasse de treize lettres de Cioran, parmi lesquelles figurent onze lettres manuscrites, une lettre typographiée comportant des corrections manuscrites et une lettre de Cioran adressée à Maxime Nemo.