
Cet été, l’Exposition universelle à Osaka invite à explorer, entre autres, le pavillon du Luxembourg. Il y a près de 90 ans, une autre Exposition universelle, à Paris cette fois, n’attirait pas moins de 31 millions de visiteurs ‒ parmi eux, une femme de lettres luxembourgeoise : Anne Beffort.
Première professeure de français du Lycée de jeunes filles nouvellement créé en 1909 au Limpertsberg, Anne Beffort est également, avec Marie Speyer, la première femme luxembourgeoise à décrocher un doctorat. Grande admiratrice des œuvres de Victor Hugo, c’est à son initiative que l’État luxembourgeois achète la maison dans laquelle l’écrivain vécut lors de son exil à Vianden, une soixantaine d’années plus tôt. En 1937, année de l’Exposition universelle mentionnée ci-dessus, Beffort devient présidente des Amis de la Maison de Victor Hugo et le restera jusqu’à sa mort en 1966.
Le legs de cette femme de lettres dynamique, conservé au Centre national de littérature, comprend non seulement sa correspondance, sa thèse de doctorat consacrée au poète Alexandre Soumet, mais aussi des diplômes, des photographies, ainsi qu’une « carte de légitimation » à première vue peu remarquable.
Nominative, cette carte délivrée à Beffort pour une somme de 20 francs français lui donne droit à une réduction de 50% sur dix entrées à l’Exposition universelle de Paris. Un premier tampon daté du 3 septembre 1937 indique un voyage en train, tandis qu’un second montre que, le jour suivant, un dimanche, la professeure visite les pavillons installés dans les Jardins du Trocadéro, eux-mêmes fraîchement inaugurés.
Le pavillon du Luxembourg se situe entre ceux de la Roumanie, d'Israël en Palestine, de l’Autriche et de Monaco. Un catalogue à la couverture dorée, édité par le Gouvernement luxembourgeois, présente les différentes parties du pavillon conçu par l’architecte Nicolas Schmit-Noesen. Sa façade extérieure offre une vue des ponts enjambant la vallée de l’Alzette à Luxembourg-ville. Dans la salle d’honneur, on retrouve quatre peintures géantes, réalisées par Paul Jouve, des châteaux de Bourglinster, Esch-sur-Sûre, Bourscheid et Vianden. Ces œuvres rappelèrent-elles à Beffort les dessins de châteaux luxembourgeois que Victor Hugo se plaisait à réaliser? En feuilletant le catalogue, on repère parmi les contributeurs des auteurs francophones tels que Marcel Noppeney et Joseph Hansen. Dans l’article « La langue et la culture françaises en Luxembourg », ce dernier affirme que la langue française est un « ferment actif de notre vie intellectuelle » et fait l’éloge de l’anthologie des Cahiers luxembourgeois parue quelques mois plus tôt, contenant entre autres le charmant conte « La Noël du braconnier » signé Anna Beffort.
Hormis la carte de légitimation, existe-t-il une autre trace du séjour d’Anne Beffort à Paris ? Interrogeons ses Souvenirs, deux volumes de mémoires publiés en 1961. L’année 1937 y est dédié à l’auteur français Maurice Bedel qui, à la grande joie d’Anne Beffort, rendit visite à sa classe de lycée (tome I, p. 220-235). L’auteur y est reçu avec un « enthousiasme, si naturel à l’âge de 17 ou 18 ans, il faut le garder en son âme tout le long de sa vie ». La lecture de ses souvenirs convainc aisément de la capacité d’Anne Beffort à préserver son émerveillement pour la vie.
Bien que l’exposition universelle n’y soit finalement point mentionnée, le style engageant d’Anne Beffort assure toutefois une lecture divertissante. Quelle meilleure ‹ légitimation › pour s’intéresser à cette carte, vieille près de 90 ans, que ces récits pleins de passion et de vie !
Sandra Schmit
Illustration :
Carte de légitimation [ticket d'entrée et titre de transport] pour l'Exposition internationale à Paris, 1937. 9 x 12 cm. CNL Fonds Anne Beffort, L-205 ; III.1-4.