Tom Reisen, auteur du roman Miroir ambulant (2020) et ancien rédacteur de la revue littéraire Estuaires (1996-2002), commença sa carrière littéraire pendant ses études de lettres à l'Université de Caen. Là, il se lie d'amitié avec un étudiant du Pays d'Auge, Frédéric Lebey, qui, sur l'initiative de Reisen, publie une nouvelle dans Estuaires 27 (1995).
En 1999-2001, Reisen effectue un séjour de recherche à Paris. Pendant ce temps, les deux amis restent en contact, discutant de leurs projets de recherche et ébauches littéraires respectifs. Cet échange littéraire inspire le travail de Reisen, qui utilise, par exemple, une citation de Lebey dans Miroir ambulant, en l’attribuant à Maurice Vankoff : « Le goût que chacun se fait de sa propre sève est toute ma hantise » (p. 160). Selon les dires de Reisen, les amis furent un temps si proches qu'ils se sentaient comme les deux faces d'une même pièce (cf. e-mail de Reisen à Sandra Schmit du 26.11.2021). Lebey compile même des citations d'auteurs classiques et les fait imprimer sous forme de livret qu’il offre à son ami. Ce livret se trouve dans le Fonds Tom Reisen (L-112; IV.1), qui comporte en outre cinquante-cinq lettres et trois textes littéraires (L-112; II.2.L1). Les lettres de Lebey, simplement signées « F. » et datant de 1999 à 2005 avec une période de correspondance plus intense en automne 2000, commencent presque toutes par « Cher toi » et s'adressent à Tom Reisen.
Dans la lettre du 1er septembre 1999, Lebey joue avec l'idée de se remettre à l'écriture : « Je suis comme Ulysse dans son Ithaque, retour des pays chauds : je bande mon arc, je chauffe le bois, j'assouplis la corde, je prépare mes flèches. Patience, et travail. » Peu après, il envisage le titre La Bataille de Dresde pour son projet, ayant « des tableaux de Géricault et Delacroix plein la tête. » (17.09.1999) Le 14 février 2000, Lebey note : « Se tordre l'âme de poète et s'en défaire. Ce qui fait un beau livre c'est l'action et pas l'écriture, pas l'intelligence. » Pendant que Reisen favorise l'inspiration autobiographique, son ami se montre plus critique envers les influences vécues : « Le récit de soi est une tentation tout à fait légitime dans une société de type individualiste [...]. Pour moi c'est plus simple : je joue à écrire un contre-mémoire dont le sujet serait ‹ contre l'autobiographie › et tu serais mon contre-directeur de mémoire, bien entendu » (10.10.2000). Et d'ajouter trois jours plus tard : « Ou bien on se condamne à l'éternel retour aux sources, [...] ou bien, plus risqué, c'est l'inconnu, [...] affronter la Mort face-à-face. »
Après un certain hiatus, Lebey se félicite, le 24 novembre 2000, d'avoir retrouvé le goût de l'écriture. Il rassemble des idées pour un premier scénario. Fin avril 2001, il envoie à Reisen une ébauche de deux pages tapuscrites, intitulée Monologue de Vincent. Il s'agit de l'histoire d'un peintre qui rêve pendant longtemps de produire un chef-d’œuvre, mais se laisse accaparer par une amie de jeunesse retrouvée : « Ce n'est pas le bonheur, non, pas la vraie vie, mais ce serait ingrat de ne pas s'en contenter. » Finalement, l'artiste apprend qu'il va mourir et perdre ainsi et son amour et l'espoir de finir son chef-d’œuvre. « Il finit par accepter que l'art est comme l'infini, chose plus ou moins intouchable. » Le 17 avril 2001, Lebey se réjouit que le travail avance : « J'ai [...] comme on dit laissé filer ma prose. Et sais-tu que de toutes les pages écrites depuis une dizaine d'années, vraiment ce sont les plus agréables de lire. [...] Je ne me sens parfaitement heureux que dans une relative improvisation mais cela exige une maturité inouïe. »
Malgré cela, l’on ne trouve aucune trace d’un texte final dans le fonds de Reisen. Jusqu'à ce jour, le texte confié il y a si longtemps à Estuaires demeure l'unique œuvre publiée de l'écrivain et peintre passionné Lebey.
Sandra Schmit