Au moment où le Luxembourg fête les 175 ans de la liberté de la presse, il est intéressant de jeter un regard sur le premier journal publié sur le territoire correspondant au Grand-Duché actuel: La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, Ou Recuëil Historique & Politique sur les matiers du tems, une revue d’expression française dont une série d’exemplaires est conservée dans la vitrine des périodiques du CNL.
À l’aube du siècle des Lumières, le journaliste Claude Jordan et l’éditeur et imprimeur lorrain André Chevalier s’unirent pour combler un vide sur le marché de la presse de la région. À partir du 1er juillet 1704, ils publient une revue sur le modèle des « gazettes de Hollande ». Dans un premier temps, l’éditeur imprime les numéros sous le pseudonyme « Jacques le Sincère à l’Enseigne de la Vérité ». Le succès du journal fut impressionnant, si on considère que la publication s’étendit sur presque un siècle et compta, selon Romain Hilgert, 1325 éditions, 202 volumes et 105.058 pages. (Zeitungen in Luxemburg 1704-2004, Luxembourg 2004, p. 11-14).
Comme l’indique son titre initial, La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe promet aux lecteurs un regard éclairé et impartial dans les coulisses des cabinets princiers, là où se préparent les déclarations de guerre et les traités de paix. La majeure partie du journal est consacrée à la politique extérieure des grandes puissances européennes et à la description détaillée de l’actualité royale. Mais cette chronique politique et religieuse est complétée au bout d’une année par une partie littéraire qui deviendra de plus en plus volumineuse. L’élargissement du titre, devenu La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, Ou Recuëil Historique & Politique sur les matiers du tems, Contenant aussi quelques nouvelles de Littérature et autres remarques curieuses, en témoigne. Le titre changera encore plusieurs fois. Journal historique et littéraire fait ainsi place à Mélanges de Littérature et de Politique.
En parlant de l'actualité littéraire, l'éditeur ne se limite pas aux grands auteurs étrangers. Dans la préface de janvier 1720, André Chevalier appelle les lecteurs intéressés à contribuer au journal: « les Scavans et les curieux sont invités de vouloir bien communiquer leurs ouvrages, tant de Littérature que de la Politique, et d’autres piéces qui pourront interesser et être agréables au Public, on n’aura qu’à adresser les Paquets (francs de port) au Sr. André Chevalier, Imprimeur et Marchand Libraires à Luxembourg. »
Le périodique contribue à la remise en question de l’absolutisme en exposant, avec les précautions qui s’imposent, certaines idées des philosophes des Lumières. La présentation des œuvres de Voltaire dans la revue du 1er juin 1751 le montre bien. Résumant les principales idées et revendications de cette figure majeure des Lumières, l’auteur de l’article annonce en effet cette parution avec une grande fierté et sur un ton admiratif, tout en restant cependant lui-même anonyme.
Plus d’un siècle avant l’instauration de la liberté de la presse, La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe a initié et encouragé la critique littéraire au Luxembourg et dans la Grande Région. Le journal cesse de paraître en août 1794.
Roberta Anderlini
- Illustration: Premier volume du périodique La Clef du Cabinet des princes de l’Europe, datant du 1er juillet 1704. CNL, PL JOU. Photo: Marc Siweck.