Objet du mois

Les cartes de condoléances du Fonds Aline Mayrisch L-37

Le décès du grand industriel Émile Mayrisch, victime d’un accident de voiture à Châlons-sur-Marne en mars 1928, et, près de vingt ans plus tard, celui de son épouse Aline Mayrisch, philologue et mécène ayant fréquenté de nombreux artistes, écrivains et intellectuels de son époque, qui, en janvier 1947, s’éteignit à l’âge de 72 ans dans sa villa de « La Messuguière » à Cabris, suscitèrent un vif émoi. Des courriers, en provenance du Luxembourg, de la France et d’ailleurs, affluèrent en nombre. Ainsi, lors du décès d’Aline Mayrisch, environ mille cartes de visite, télégrammes ou lettres furent adressés à sa fille Andrée Viénot-Mayrisch et déposés ou envoyés à Luxembourg, à Colpach et à Cabris. Grâce au travail de Nicoletta Catarinella, collaboratrice du CNL, nous disposons aujourd’hui d’inventaires sommaires alphabétiques de ces témoignages de sympathie et de deuil, conservés à Colpach et transmis au fil des ans au Centre national de littérature par Monsieur Roland Hoff, ancien directeur de la Croix-Rouge luxembourgeoise, institution héritière du château de Colpach. Ces inventaires reprennent les noms des expéditeurs et la localité d’origine ; ils indiquent en outre la nature du support (carte de visite, télégramme ou lettre). Certaines cartes de visite, présentant un trou ou munies d’un bout de fil de fer, furent prélevées de gerbes de fleurs ou de couronnes mortuaires.

En raison de son envergure (25 boîtes d’archives & une importante bibliothèque) et de son degré de consultation, le Fonds Aline Mayrisch a fait l’objet, entre 2016 et 2018, d’un catalogage détaillé. Ainsi, les cartes de condoléances liées au décès d’Aline Mayrisch constituent, à titre d’exemple, le dossier de correspondance CNL L-37; II.3.ZZ1. Consulter ces cartes permet de parcourir le monde entier, de Petit-Nobressart, Colpach et Ell à Lausanne, New York ou Washington en passant par le Palais de l’Élysée. En outre, ils reflètent une multitude de couches sociales. Y apparaissent, à côté de la famille étendue des Mayrisch, le fermier de Colpach, un boucher de Luxembourg-ville ou une entreprise de charbonnage de Charleville, dont les messages côtoient ceux de la Grande-Duchesse Charlotte, des œuvres soutenues par Aline Mayrisch (la Croix Rouge luxembourgeoise, la Maison des enfants du Kreuzberg à Dudelange ou encore le Sanatorium de Dudelange et les infirmières visiteuses), des industriels de la sidérurgie du sud du pays et de la Lorraine ou de la haute bourgeoisie luxembourgeoise et française, principalement issue des Ardennes, fief politique d’Andrée Mayrisch qui fut conseillère générale de Rocroi après le décès de son mari Pierre Viénot. Les contacts culturels de longue date d’Aline Mayrisch (Gaston Gallimard, Jean et Maurice Schlumberger ou Félix Bertaux) se mêlent aux amies guides de « Schnoucky ». Les milieux politique et sportif français, quant à eux, se manifestent en raison de la fonction de sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale, chargée de la Jeunesse et des Sports exercée par Andrée Mayrisch à partir de 1946.

Les nombreuses cartes de visite font également état de pratiques d’un autre temps : la plupart des épouses signent uniquement du nom de leur mari (même lorsqu’elles sont de ferventes militantes des droits de la femme comme « Mme Batty Weber », alias Emma Weber-Brugmann). Pour des raisons de commodité ou par souci d’économie, le nom d’un mari décédé est barré d’un simple coup de plume, « M. et Mme » se transformant ainsi en « Mme ». L’on constate aussi que Monsieur envoie sa carte professionnelle et Madame la privée. Tout aussi variés et parfois inattendus sont les contenus des messages : Monsieur Joseph Weber témoigne de son « éternelle vénération », tandis que certains proches se contentent d’envoyer des cartes vierges, bordées de noir ou non.

 

Nicole Sahl

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