« Fir d’armt an onglecklecht Kand » « D’Crêche » : La protection de l’enfance au miroir d’une partition de musique

creche

Lorsqu’en 1900, Pierre Blanc place un ange au centre de la page de couverture exposée ci-contre, il ignore que la crèche à laquelle cette partition est dédiée se trouvera pendant plus de trente ans, de 1902 à 1938, dans un pâté de maisons du Breedewee appelé « Am Himmel » – une simple coïncidence qui reflète toutefois remarquablement l’esprit dans lequel la première crèche de Luxembourg a été fondée en 1898, à une époque où la création de tels établissements était motivée bien plus par l’esprit de charité que par des revendications sociales ou égalitaires. Son initiateur, l’avocat et futur membre du Conseil d’État Auguste Ulveling, ne voyait en effet dans la crèche ni un outil favorisant l’émancipation féminine (« la place de la femme est au foyer », écrit-il dans une plaquette vendue en 1898 au profit de la crèche), ni un lieu de socialisation, mais un « établissement philanthropique » censé prévenir les accidents domestiques, la misère et la mendicité : Seuls les enfants dont les mères étaient obligées de travailler en dehors du foyer pour nourrir leur famille y étaient acceptés et suivis par un médecin. Bénéficiant dès sa création de subventions publiques ainsi que de l’aide bénévole des sœurs franciscaines (jusqu’à la deuxième guerre mondiale), la crèche fonctionnait surtout grâce à des dons et cotisations, sans compter la participation aux frais versée par les mères.

Due à une collaboration entre le poète Pol Clemen (1861-1925) et le compositeur Joseph-Alexandre Müller (1854-1931), la chanson « D’Crêche » pour voix aiguë et piano a sans doute été écrite à l’occasion d’une manifestation culturelle organisée en faveur de la crèche, comme en témoigne une autre édition portant sur la page de couverture l’inscription « Gym / Bazar de charité / 6 janvier 1900 ». La fameuse Société de gymnastique, connue pour son activité sur le plan théâtral, apparaît par ailleurs dès le « Rapport financier sur l’exercice 1899-1900 » parmi les « fondateurs de berceaux » de la crèche. Quant à la pièce exposée ici, dont la provenance n’a pu être reconstituée, elle fait partie du Fonds « Musicalia » du CNL et elle rend hommage, par une dédicace imprimée au-dessus des portées, à la première présidente de la crèche, Madame Henriette Schaefer-Metz (1832-1915). Depuis sa fondation et jusqu’à l’heure actuelle, la crèche (située depuis 1938 au plateau Altmünster) est toujours présidée par une femme et dirigée par un conseil d’administration essentiellement féminin, Auguste Ulveling redoutant qu’une direction masculine ne risque de « mettre en péril la bonne réussite de l’œuvre » (Protection de l’enfance : Une crèche à Luxembourg, 1898, p. 36). La figure angélique choisie par Pierre Blanc a ainsi le mérite de rendre hommage au dévouement des « dames charitables » et à la munificence des « hommes de cœur » ainsi qu’à l’engagement du premier vice-président, Auguste Ulveling, actif également au sein de la société de la Charité maternelle, fondée par lui en 1900. Pour ce qui est du portrait, il s’agit probablement de celui du compositeur, qui a d’ailleurs intégré « D’Crêche » dans son recueil Neue und alte Männerchöre, dans une version pour cinq voix.

D’autres écrivains ont soutenu la crèche en rédigeant des textes, dont Batty Weber (« Geschicht vun engem himmelblo’e Kapuzzemäntelchen ») et Willy Goergen (« Arem a Reich », une pièce de théâtre créée à l’occasion du 15e anniversaire de la crèche). Quand Auguste Ulveling meurt en 1917, c’est toutefois, à en croire la contribution de Jean Ulveling à la Biographie nationale de Jules Mersch, la chanson « d’Crêche » qui est récitée sur sa tombe.

Myriam Sunnen



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